Au premier semestre 2019, le Dr. Siegfried Wolf, directeur de recherche au South Asia Democratic Forum, a publié un livre référence sur le Corridor Economique Chine Pakistan.

“The China-Pakistan Economic Corridor of the Belt and Road Initiative: Concept, Context and Assessment” est l’un des premiers ouvrages à s’intéresser attentivement à ce corridor. Si de nombreux chercheurs ont analysé le développement des nouvelles routes de la Soie et de l’initiative « Belt and Road », peu d’entre eux s’étaient penchés sur l’étude du Corridor Economique Chine Pakistan (CECP), pourtant l’un des éléments les plus structurants de la BRI. C’est aujourd’hui chose faite grâce à l’ouvrage du Dr. Wolf, qui devrait devenir un incontournable pour les prochains chercheurs intéressés par ce sujet.    

Résumé de l’ouvrage

L’ouvrage de Siegfried Wolf s’ouvre sur le constat d’un manque de connectivité en Asie méridionale et présente le Corridor Economique Chine Pakistan, en revenant sur l’histoire des relations sino-pakistanaises. Ce premier chapitre introductif montre l’importance de ce projet de corridor.

L’auteur s’intéresse justement à ce qu’est un corridor économique, et montre que ce concept reste peu clair. Pour le Dr. Wolf,  le concept de corridor ne doit pas être limité aux transports et aux échanges, mais doit être regardé dans une approche plus globale du développement, sur des critères économiques, politiques et sociaux.

L’ouvrage continue ensuite sur les motivations chinoises (chapitre 3) et pakistanaises (chapitre 4) pour la réalisation de ce projet de grande ampleur. S’agissant de la Chine, il affirme qu’il n’y a pas encore de consensus sur l’interprétation de ce projet et revient sur les raisons internes (surcapacité industrielle, modernisation de l’industrie chinoise…) et externe (internationalisation du renminbi…) à l’initiative « Belt and Road ».  Le chapitre sur les motivations pakistanaises est plus innovant. Selon l’auteur, les intérêts du Pakistan sont multiples et touchent à la fois des aspects économique, sociaux, politiques, géostratégiques, et sécuritaires. Grâce au CECP, le Pakistan espère renforcer ses infrastructures, réduire ses inégalités régionales, et créer des emplois. Sur la scène internationale, à travers son rapprochement avec la Chine, Islamabad désire réduire l’asymétrie avec l’Inde, être moins dépendant des Etats-Unis, mais aussi améliorer son image.

Mais pour atteindre ces objectifs, la Chine et le Pakistan font face à de multiples défis (chapitre 5). Ces obstacles peuvent être de nature sécuritaire avec notamment les menaces terroristes, mais aussi constitutionnelles. Ainsi, le Dr. Wolf pointe le statut flou du Gilgit-Baltistan, région clef du CECP, dans la constitution pakistanaise, ce qui pourrait effrayer les investisseurs étrangers. Il explique aussi comment la participation très forte de l’armée pakistanaises dans les affaires peut être aussi un obstacle. Ce chapitre se finit sur les risques environnementaux au Pakistan qui peuvent menacer les projets d’infrastructures.

Le sixième chapitre, le plus important, fait l’évaluation du CECP selon plusieurs indicateurs. L’auteur analyse ainsi les premiers résultats du CECP en termes de connectivité interne et externe ; il évalue aussi l’impact du corridor sur la société pakistanaise (son développement, les inégalités régionales, la lutte contre le terrorisme…), et s’interroge sur la viabilité économique de ce projet. Il regrette son  manque de transparence et déplore le rôle donné à l’armée pakistanaise dans les projets liés au CECP.

L’auteur s’intéresse par la suite aux liens entre le Pakistan entretient avec l’Union Européenne (chapitre 7), et l’Afghanistan (chapitre 8). Selon le Dr. Wolf, le développement du corridor Chine Pakistan, devrait encore affaiblir les relations entre le Pakistan et l’Union Européenne. Le Pakistan bénéficie du   Système généralisé de préférences plus (Generalised Scheme of Preferences Plus, GSP+) de la part de l’UE. Selon l’auteur, les Européens sont de plus en plus réticents à accorder ce statut au Pakistan en raison des faibles progrès de gouvernance mené par Islamabad. Le développement du CECP permettrait de s’affranchir encore un peu plus des demandes européennes.

L’auteur examine ensuite la possible extension de la BRI en Afghanistan par le CECP. Pour le Dr. Wolf, la Chine est de plus en plus présente en Afghanistan et espère la stabilité du pays ; cependant il note que la coopération entre le Pakistan et l’Afghanistan est encore limitée. Pour Islamabad, Kaboul est sur une ligne trop proche de New Dehli et une extension des routes de la soie en Afghanistan pourrait menacer l’activité de ses propres zones économiques spéciales.

Dans son neuvième et avant-dernier chapitre, l’auteur analyse le rapport en démocratie et développement au Pakistan. Selon lui, les projets liés au CECP renforceraient le rôle de l’armée dans l’économie pakistanaise et pourrait à long terme affaiblir le processus démocratique de ce pays.

“The China-Pakistan Economic Corridor of the Belt and Road Initiative: Concept, Context and Assessment” se termine par les conclusions de l’auteur qui revient sur les impacts du CECP sur l’économie, la coopération régionale, le volet sécuritaire et la dimension sociale. Il en conclut que le CECP, tel qui se construit n’est pas un corridor économique.

Analyse

“The China-Pakistan Economic Corridor of the Belt and Road Initiative: Concept, Context and Assessment” est sans nul doute l’ouvrage le plus complet à ce jour sur le CECP. Extrêmement bien référencé, il nous permet de mieux comprendre les défis auxquels fait face le Pakistan. Son auteur, le Dr. Siegfried Wolf a une connaissance très fine de la société pakistanaise, et des relations entre le Pakistan et ses voisins. Il connait les faiblesses du Pakistan. Selon l’auteur, le Pakistan souffre de plusieurs maux, tels que l’absence de transparence, qui limite son développement, et le CECP ne devrait pas régler ces problèmes. A travers cette étude du corridor Chine Pakistan, le Dr. Wolf nous montre en fait  certaines fragilités du Pakistan, un pays qui reste relativement méconnu en Europe.  

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Cependant, on peut regretter que l’auteur n’ait pas la même expertise de la Chine que du Pakistan. Le Dr. Wolf est  un  expert reconnu sur les questions concernant l’Asie méridionale, mais son analyse du CECP vu du côté chinois est un peu plus limitée. Ainsi, peu de références  chinoises, en dehors d’articles de journaux, sont mentionnées. Par conséquent, la vision présentée de l’initiative « Belt and Road » semble relativement statique, et ne prend que peu en compte les interrogations chinoises sur ce projet, et les évolutions prises par la BRI. Ainsi, si des problèmes de gouvernance et de financements ont pu caractériser les débuts de la BRI, la Chine tente aujourd’hui de mieux prendre en compte ces défis. La décélération de l’économie chinoise et l’internationalisation de ces entreprises poussent les promoteurs des nouvelles routes de la Soie à chercher de nouvelles sources financières non-exclusivement chinoises et à être plus attentifs à l’image projetée de la BRI (et donc à faire des efforts en matière de gouvernance).

On peut aussi reprocher à cet ouvrage un ton relativement sombre et pessimiste sur les résultats du CECP sur la société et l’économie pakistanaise. Le Pakistan fait face, comme le souligne l’auteur, à de nombreux enjeux de nature sociétale, économique, politique, sécuritaire.  Le CECP ne pourra pas résoudre l’ensemble de ces questions, mais il peut être un premier pas important vers un horizon plus dégagé ; notamment parce que le CECP pourrait transformer l’image du Pakistan aux yeux des investisseurs étrangers, chinois et autres. D’autre part, il peut être encore trop tôt pour « évaluer » le corridor économique Chine Pakistan ; la Chine s’est donnée jusqu’à 2049 pour faire renaitre ces nouvelles routes de la Soie, et il ne faut pas oublier que le succès du CECP dépendra aussi des autres projets de connectivités développés au sein de la BRI.  L’analyse de l’auteur ne s’arrête pas au Pakistan, il s’intéresse aussi aux relations ente Islamabad et ses voisins,- pour lui les mauvaises relations avec l’Inde et l’Afghanistan-, sont préjudiciables au CECP-, les Etats-Unis et l’Europe. Mais il aurait été aussi intéressant d’étudier plus attentivement le développement des projets de la BRI dans d’autres régions comme l’Asie centrale et le Golfe persique et leurs implications sur le CECP.  

Bien sûr, comme le note l’auteur, avec le CECP, le Pakistan deviendra plus dépendant de la Chine. Mais ce constat peut être appliqué à de nombreux autres pays alors que la Chine est en passe de devenir la première puissance mondiale.

Cet ouvrage est relativement clair et bien structuré, même si on peut regretter certaines redondances, notamment dans le chapitre six sur les évaluations du CEPC qui reprend des éléments de constat des chapitres précédents, -peut-être ces évaluations auraient pu être amenées de manière différente ?-.  Le livre du Dr. Wolf est destiné principalement aux étudiants et chercheurs s’intéressant à la fois aux corridors de connectivité et au Pakistan. On peut espérer que des chercheurs et dirigeants pakistanais et chinois se penchent aussi sur cet ouvrage, afin de travailler sur les défis constatés par l’auteur et proposer des solutions pour un CECP plus performant.  

Cet ouvrage est disponible sur le site de l’éditeur.

The China Pakistan Economic Corridor of the Belt and Road Initiative, par le Dr. Wolf
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