Un nouveau livre sur les nouvelles routes de la Soie vient d’être publié par le professeur Sarwar Sarwar Kashmeri, chercheur au thinktank « Foreign Policy Association »  et professeur adjoint en sciences politiques  à Norwich University. Cet ouvrage se distingue par la très bonne compréhension de la stratégie chinoise par son auteur. Relativement court, « China’s Grand Strategy ; Weaving a New Silk Road to Global Primacy» va à l’essentiel et explique ce qu’est la BRI et comment elle incarne la vision promue par la Chine.

Destiné à la fois aux étudiants, chercheurs et au grand public, il aborde des thèmes complexes que l’auteur explique de manière claire faisant même appel à la culture populaire.

Très bien documenté, cet ouvrage permet aux lecteurs de mieux comprendre le projet de la BRI et de se rendre compte de son importance grandissante. Comme l’auteur l’écrit, la BRI a pendant longtemps été perçue aux Etats-Unis comme la manifestation d’un colonialisme chinois.  

L’auteur n’est cependant pas un sinophile béat et connait les obstacles à la réalisation des projets de la BRI, notamment celui de la gestion de projets complexes et multilatéraux, mais comme le rappelle Sarwar Kashmeri la BRI n’en est qu’à ses tout débuts.

Résumé

Dans son introduction, le professeur Kashmeri présente les trois phases de la stratégie chinoise initiée en 1978. Avec les réformes mises en place par Deng Xiaoping permettant l’ouverture économique, la Chine a réussi à sortir des centaines de millions de personnes de la pauvreté et à de devenir la plus grande puissance commerciale.  La deuxième est celle de la puissance militaire. Si les dépenses chinoises dans ce domaine n’atteignent qu’un tiers de celles des Etats-Unis, la Chine a cependant réussi à sécuriser ses côtes de toute menace. Le troisième stade de la stratégie chinoise est celui que nous sommes en train de vivre aujourd’hui à travers la consolidation de nouvelles alliances. Celles-ci ne sont pas construites sur la puissance militaire contrairement aux Etats-Unis, mais sur les échanges commerciaux et le développement de nouvelles infrastructures. La réalisation de l’initiative « Belt and Road » en est l’instrument principal.

L’auteur définit ensuite ce qu’est la BRI, qu’il présente comme un réseau de corridors économiques fait d’infrastructures mais aussi de flux financiers qui placent la Chine au centre du monde. Le professeur Kashmeri a compris que la BRI est un programme souple et adaptable non seulement aux régions traversées par les anciennes routes de la Soie, mais à l’ensemble du monde.

Pour l’auteur, la BRI est avant tout une vision, qu’il rapproche de celle formulée par l’ancien président américain Kennedy d’envoyer un homme sur la Lune. Ces visions traduisent la confiance d’un pays dans son avenir et son leadership.

Comme toute vision, le programme de la BRI n’est pas détaillé, il s’agit d’un objectif à atteindre, et le chemin pour y parvenir peut évoluer et nécessite des investissements conséquents.

Pour financer ce programme,  la Chine a inauguré en 2016, la Banque Asiatique pour les Investissements dans les Infrastructures, cette nouvelle institution financière a réussi à attirer les alliés le plus proches des Etats-Unis, et aujourd’hui, les investisseurs privés participent au financement des projets de la BRI.

En moins de 6 ans, la BRI chinoise a réussi à s’imposer à l’ensemble de la communauté internationale.

Le professeur Kashmeri montre comment la Chine se crée de nouvelles alliances grâce à la BRI.

L’auteur reprend la comparaison avec le plan Marshall qui est souvent utilisée pour qualifier la BRI, bien qu’elle soit réfutée par Beijing.  Pour le professeur Kashmeri, la BRI est un plan Marshall plan « sous stéroïdes », les montants en jeu sont plus importants et le programme n’a pas de durée déterminée. Pour l’auteur, la Chine est en capacité d’avoir plus d’alliés que les Etats-Unis, grâce à son poids commercial.

Il aborde ensuite le « dilemme de Malacca », qui consiste pour la Chine à réduire sa dépendance au détroit de Malacca tout en accroissant sa présence en Asie du Sud-Est. Le détroit de Malacca est un potentiel point d’étranglement où passe 60%  du commerce avec la Chine. L’auteur assure que la Chine n’a pas d’ambitions militaires mondiales, si ce n’est celle de protéger ses intérêts régionaux, ce qu’elle est aujourd’hui capable de faire.

Dans le quatrième chapitre de « China’s Grand Strategy », le professeur Kashmeri étudie quatre projets phares de la BRI que sont le Corridor Economique Chine-Pakistan, le Corridor Economique Chine-Myanmar, le développement du port d’Hambantota au Sri Lanka et l’acquisition du port du Pirée en Grèce. Dans ces exemples, l’auteur s’intéresse principalement à la question des prêts et à l’aspect géopolitique.

Au Pakistan, les investissements chinois dans les infrastructures devraient mettre fin à l’un des problèmes majeurs de l’économie pakistanaise qui consiste en de très fréquentes coupures d’électricités affectant lourdement les entreprises. Si les emprunts contractés par Islamabad restent élevés, les bénéfices tirés de la modernisation des infrastructures devraient permettre au pays de les rembourser.

L’auteur revient sur l’importance géopolitique de ces projets, notamment le  Corridor Economique Chine-Pakistan et le Corridor Chine-Myanmar, devraient permettre d’éviter le détroit très stratégique de Malacca, et de mieux connecter les provinces occidentales de la Chine au marché mondial.

Au Myanmar, la BRI consiste en la construction de nouveaux pipelines, de zones économiques spéciales et de barrages. Si certains projets ont été retardés ou abandonnés, le Myanmar continue à voir la BRI comme une opportunité majeure alors que le pays doit faire face à une baisse des investissements due à la crise des Rohingyas.

Le professeur Kashmeri revient aussi sur le cas du port de Hambantota, qui est souvent mis en avant pour critiquer la BRI, et ne croit pas à la théorie de la « victime innocente ». Il explique comment grâce aux investissements menés par la Chine, ce port a le potentiel pour devenir un hub majeur dans l’océan indien.    

Enfin, le dernier exemple choisit par l’auteur est celui du port du Pirée, dont l’acquisition par COSCO en 2016 a soulagé le gouvernement grec alors en difficulté financière, et a permis à la Chine de poursuivre son implantation dans l’Union Européenne, -ce qui pose des questions dans les institutions à Bruxelles-.

Ce livre étudie aussi la place de l’Afrique dans la stratégie chinoise. Pour le professeur Kashmeri, le continent africain tient une place particulière dans le projet BRI. Il s ‘agit bien sûr d’y développer des infrastructures pour renforcer les échanges avec la Chine, mais aussi de faire de l’Afrique « la nouvelle usine du monde », -expression qui a pendant longtemps qualifiée la Chine-. Alors que les coûts de production augmentent en Chine, ses entreprises s’implantent en Afrique pour continuer leur production à faibles coûts, et suivent en cela le modèle des entreprises japonaises qui avaient délocalisé leur production dans les « Tigres asiatiques » à la fin des années 1980. La Chine transmet ainsi son expertise en Afrique qui abritera les entrepreneurs de demain.

L’auteur répond aux critiques selon lesquelles les projets menés par les entreprises chinoise en Afrique n’emploient que très peu de main d’œuvre locale, et montre, à travers plusieurs exemples, que les entreprises chinoises en Afrique créent des emplois.

Il termine ce chapitre en décrivant la construction de plusieurs projets d’infrastructures avec des financements chinois en Afrique, à Djibouti mais aussi dans d’autres états. Dans de nombreux pays africains comme le Kenya, « l’initiative Belt and Road » est intégrée dans la politique nationale de développement. Il note, qu’en Afrique ou ailleurs, la Chine a réussi à créer une marque « BRI ». Ainsi de nombreux projets d’infrastructures ont été lancés avant 2013, la date de création de la BRI, mais sont aujourd’hui considérés comme des projets labelisés BRI, ce qui permet de renforcer la visibilité de ces projets.

Son dernier chapitre examine la réponse apportée par les Etats-Unis à l’initiative chinoise ; l’auteur déplore l’absence d’une grande stratégie américaine pour la Chine. Bien que plusieurs réponses aient été formulées par Washington, celles-ci souffrent de la comparaison avec la BRI, en termes de moyens.

Bien sûr la BRI fait elle-aussi face à certaines faiblesses que pointent l’auteur, comme par exemple le (léger) ralentissement économique chinois. Mais pour le professeur Kashmeri, Beijing possède la capacité d’adapter son grand projet aux circonstances et, donc il ne croit pas à l’échec de la BRI. Aujourd’hui, les Etats-Unis restent l’un des seuls états à rejeter frontalement l’initiative  « Belt and Road » mais n’ont pas les moyens de leurs ambitions. Ainsi, le professeur Kashmeri note le mauvais état des infrastructures américaines.et pense que la participation des Etats-Unis à l’initiative « Belt and Road » pourrait permettre aux Etats-Unis de moderniser ses infrastructures sans menacer les finances des Américains.

L’auteur conclut son livre sur la nécessité pour la Chine et les Etats-Unis de coexister pacifiquement dans un siècle qui serait à la fois chinois et américain.

Analyse

«  China’s Grand Strategy » se veut  un ouvrage permettant de mieux comprendre la BRI. L’auteur casse les préjugés à l’encontre du projet chinois, il remet ainsi en question la théorie du piège de la dette avancée par les détracteurs de la BRI.

Même s’il aborde de nombreux projets labélisés BRI (l’auteur présente une liste de projets BRI en appendice), il ne peut traiter de l’ensemble de la BRI et de ses résultats dans chaque état. Sarwar Kashmeri traite ainsi de la place de l’Afrique dans cette vision développée par la Chine, mais d’autres régions sont moins étudiées. En tant qu’Européens, nous aurions apprécié une analyse plus profonde sur les conséquences de la BRI sur les relations sino-européennes. Le Moyen-Orient et l’Asie centrale sont peu présents dans l’ouvrage et l’Amérique latine y est absente. Nous ne pouvons cependant pas en blâmer l’auteur qui a choisi de se concentrer sur la Chine et ses rapports avec les Etats-Unis.   

Son analyse va plus loin que les raisonnements habituels portés sur la BRI, car Sarwar Kashmeri a bien compris que la BRI est un projet global dont la construction de nouvelles infrastructures n’est qu’un aspect, et que la BRI constitue, comme il le souligne, une vision chinoise du monde.

Ce livre nous décrit donc la grande stratégie de la Chine pour redevenir le centre du monde. Pour l’auteur, la réalisation de la BRI constitue la troisième phase de la vision chinoise, après avoir réussi sa transformation économique et développé sa puissance militaire. Le caractère géopolitique de la BRI et notamment la question du détroit de Malacca sont longuement abordés par Sarwar Kashmeri, professeur de sciences politiques à l’université de Norwich, la plus ancienne académie militaire des Etats-Unis.

Le professeur Kashmeri nous montre aussi que la BRI n’est nullement perçue comme une menace par les autres états que les Etats-Unis ou certaines pays européens, mais comme une opportunité pour se développer suivant un possible modèle chinois. C’est aussi le constat de la fin du rêve américain.

« China’s Grand Strategy » est donc un ouvrage pour mieux comprendre les débuts de la BRI, qui comme l’auteur l’indique, est un projet sur plusieurs décennies.

« China’s Grand Strategy ; Weaving a New Silk Road to Global Primacy » est publié  chez Praeger et est disponible sur Amazon.

« China’s Grand Strategy », comprendre la BRI par le professeur Kashmeri
Étiqueté avec :                                

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*