par Dr. Sébastien Goulard

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La Chine et l’Iran ont annoncé début juillet négocier un accord historique entre les deux états. Tous les détails n’ont pas encore été dévoilés dans les médias. Mais, ce partenariat devrait avoir des conséquences majeures sur le développement de l’initiative « Belt and Road » au Moyen-Orient et sur le Corridor économique Chine-Pakistan.

Le renforcement des relations sino-iraniennes

L’Iran et la Chine ont commencé à réfléchir sur cet accord depuis 2016 lors de la visite d’état du président Xi Jinping à Téhéran en janvier 2016. En 2019, Téhéran rejoignait officiellement l’initiative « Belt and Road ». Le retrait américain de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien en mai 2018, a aussi poussé Téhéran à intensifier ses relations avec la Chine.

Cela ne signifie pas pour autant que la Chine privilégie l’Iran au détriment des pays sunnites. Beijing reste l’un des principaux clients de l’ensemble des états du Golfe et adopte une politique d’équilibre au Moyen-Orient. On peut noter même un rapprochement entre l’Arabie Saoudite et la Chine notamment suite à la visite du prince héritier Mohammed ben Salmane en Chine en février 2019.  Client à la fois de l’Arabie saoudite et de l’Iran, la Chine cherche avant tout à diminuer les tensions dans la région.  

L’accord sino-iranien et les investissements chinois en Iran 

Entre 2014 et 2018, les investissements chinois en Iran ont atteint près de 2,3 milliards de dollars. Avec ce nouvel accord, les investissements chinois en Iran pourraient tout simplement exploser, puisque on avance le chiffre de 400 milliards de dollars pour les 25 prochaines années. Pour l’Iran, ce partenariat est essentiel, puisqu’il permettrait au pays de se moderniser en ayant accès aux dernières technologies. L’Iran souffre aujourd’hui d’infrastructures vieillissantes faute d’avoir accès aux technologies américaines et européennes en raison des sanctions prises par Washington et de la timidité des entreprises européennes. L’accord sino-iranien devrait comprendre la construction de nouveaux métros et de lignes à grandes vitesse pour mieux connecter les différentes régions de l’Iran.

Vers un renforcement des échanges entre la Chine et l’Iran

La Chine est aujourd’hui le principal partenaire commercial de l’Iran, et ce partenariat devrait accélérer cette tendance. Les sanctions américaines  permettent aux entreprises chinoises d’accéder plus facilement au marché iranien. Par exemple, depuis le retrait du français Peugeot, la place est libre pour les constructeurs chinois qui devraient se développer en Iran après la signature de l’accord entre Téhéran et Beijing.

De même, dans le secteur aérien, on peut imaginer que l’Iran devienne prochainement un acheteur du futur avion chinois Comac C919. Si en 2018, l’entreprise chinoise réfutait cette possibilité, les mauvaises relations sino-américaines et le futur accord sino-iranien pourrait changer la donne.

Un nouvel essor pour le port de Jask

Aujourd’hui le gouvernement iranien tente de développer le port de Jask pour le transformer en centre majeur des hydrocarbures iraniens. Un pipeline devrait prochainement connecter l’Ouest du pays à Jask, plus à l’Est, pour éviter ainsi aux pétroliers le passage par le stratégique détroit d’Ormuz. Selon le prochain accord sino-iranien, les entreprises chinoises pourraient jouer un rôle majeur dans le développement du port de Jask.  

L’Inde face à l’accord sino-indien

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L’Inde reste très attentive au renforcement du partenariat sino-iranien. En 2016, New Delhi et Téhéran ont conclu un accord concernant le port de Chabahar, situé à un peu plus de 200 km de Jask, ainsi que la construction d’une ligne de chemin de fer reliant Chabahar à Zahedan, à la frontière afghane. A travers ces projets, l’Inde veut faire avancer le Corridor de Transport International Nord Sud qui doit permettre de renforcer les échanges économiques avec la Russie, le Caucase et l’Iran tout en évitant le Pakistan. Ce nouvel axe devrait aussi permettre à l’Inde d’accéder aux ressources de l’Asie centrale. De manière exceptionnelle, les Etats-Unis avaient accepté de lever leurs sanctions économiques concernant l’Iran sur ce projet mené par l’Inde afin de faciliter le désenclavement de l’Afghanistan.    

Cependant, en raison de certains retards pris par les investisseurs indiens, l’Iran pourrait choisir de construire cette ligne ferroviaire sans l’assistance indienne, comme cela a été annoncé à la mi-juillet. On peut aussi supposer que des entreprises chinoises participent à ce projet. L’Inde devrait néanmoins continuer à investir dans le port de Chabahar, comme le souhaite Téhéran.

Quelles relations avec le CECP ?

L’accord sino-iranien devrait donc booster le développement de deux ports majeurs en Iran : Jask et Chabahar, alors qu’à moins de 200 km à l’est de ce dernier, la Chine est en train de construire l’un des plus grands ports de l’océan indien à Gwadar au Pakistan.

On peut donc s’interroger sur les futures relations entre les puissances de la région, et notamment sur la place de l’Iran vis-à-vis du Corridor économique Chine Pakistan (CECP). Ce corridor constitue le segment le plus avancé du projet chinois des nouvelles routes de la Soie. Estimé à près de 60 milliards de dollars, le CECP est constitué de multiples projets d’infrastructures tels que la construction de routes, de chemins de fer, de zones économiques spéciales ainsi que du développement du port de Gwadar dans la région du Baloutchistan. Le CECP est devenu une priorité pour le gouvernement pakistanais qui mise sur ce programme pour relancer son économie.

Pour la Chine, le CECP permettra de désenclaver ces provinces de l’Ouest, et notamment la région du Xinjiang et aussi d’éviter le passage par le détroit de Malacca et ainsi de créer une nouvelle route plus rapide vers le Golfe persique.

Lors de la visite historique du premier ministre pakistanais Imran Khan à Téhéran en avril 2019, l’Iran et le Pakistan se sont engagés à travailler conjointement sur les projets de développement régionaux. En décembre 2019, un officiel iranien au Pakistan réaffirmait l’engagement de l’Iran à rejoindre le CECP, et en juillet 2020, l’ambassadeur iranien à Islamabad, M. Seyed Mohammad Ali rappelait l’intérêt de Téhéran pour la BRI et le CECP.

L’Iran et le Pakistan coopèrent déjà au niveau local. Les deux pays conduisent des activités de défense pour lutter contre le terrorisme dans la région du Baloutchistan et se vendent de l’électricité.

Mais pour que l’Iran participe pleinement au CECP et qu’il existe une coordination entre les activités des ports de Chabahar et Gwadar, plusieurs conditions doivent être remplies. La première concerne la levée des sanctions contre l’Iran. Comme l’a appelé de ses vœux, le premier ministre pakistanais en mars 2020, la fin des sanctions contre l’Iran, pourrait permettre plus d’échanges entre Islamabad et Téhéran.  Ces échanges seraient aussi facilités par la création de nouvelles infrastructures de transport, entre les ports de Chabahar et Gwadar. Depuis 2017, les Iraniens considèrent cette option.

L’objectif aujourd’hui est de coordonner les activités entre les ports de Chabahar et Gwadar pour limiter la concurrence régionale, et faire du pôle Gwadar-Chabahar (-Jask) un hub majeur de l’océan indien grâce au projet de la BRI.

L’Iran et le CECP
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