par Dr. Sébastien Goulard

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Suite à l’annonce du programme Global Gateway dans le discours de l’Etat de l’Union par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, a dévoilé la stratégie Indo-Pacifique de l’UE le 16 septembre 2021. Cette stratégie avait déjà été annoncée  en avril 2021.

L’UE et l’espace Indo-Pacifique

La région Indo-Pacifique elle-même est un nouveau principe, introduit par l’ancienne secrétaire d’État américaine Hillary Clinton en 2010, pour remplacer la région Asie-Pacifique et ainsi inclure l’Inde et contrebalancer l’influence croissante de la Chine. Ce principe a ensuite été adopté par les pays européens depuis 2016, dont la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Italie et l’Espagne. Cependant, comme le montrent Frédéric Grare et Manisha Reuter (ECFR), les membres de l’UE n’ont pas la même définition de la région Indo-Pacifique et ne partagent pas les mêmes objectifs. Certains voient dans la stratégie Indo-Pacifique de l’UE un moyen de contrer l’influence chinoise, d’autres, au contraire, comme un outil possible pour mieux coopérer avec la Chine. L’objectif principal de l’UE est d’aller au-delà des stratégies centrées sur la défense (qu’incluent déjà  le « Enhancing Security Cooperation In and With Asia » ou ESIWA) et d’offrir une forte dimension économique.

La région Indo-Pacifique est devenue de plus en plus importante pour l’Europe. C’est désormais la deuxième destination des exportations de l’UE après les pays européens non-membres de l’UE (Royaume-Uni, Norvège et Suisse). Pour accroître ses échanges commerciaux, l’UE a négocié plusieurs accords de libre-échange (ALE) avec les pays de la région. En 2011, l’UE et la Corée du Sud ont signé un ALE, en 2019, un autre ALE a été ratifié entre l’UE et Singapour, et le partenariat économique entre l’UE et le Japon est entré en vigueur. En 2020, un autre ALE a été ratifié avec le Vietnam.

Parmi les pays de l’Indo-Pacifique, la Chine reste toujours le partenaire le plus important. C’est pourquoi en décembre 2020, la Chine et l’UE ont signé l’Accord Global sur les investissements (qui doit encore être ratifié). La stratégie Indo-Pacifique est également un outil pour réduire la dépendance vis-à-vis de la Chine (que l’UE qualifie de « rival systémique ») et rééquilibrer les relations avec les autres pays asiatiques.

La stratégie

La stratégie Indo-Pacifique de l’UE ne concerne pas uniquement la défense, bien que la sécurité soit un élément important. Une dimension majeure de cette stratégie met l’accent sur la promotion des droits de l’homme et de la démocratie. Le manque de gouvernance a été un obstacle important aux accords commerciaux entre l’UE et certains pays de l’Association des Nations du Sud-Est Asiatique (ANSEA) tels que la Thaïlande et le Myanmar. La stratégie de l’UE pour l’Indo-Pacifique est un programme global qui vise à renforcer les relations entre l’UE et l’Asie dans plusieurs secteurs. L’UE a identifié sept domaines de coopération à privilégier dans la région Indo-Pacifique:

  • Prospérité durable et inclusive, pour promouvoir une conduite responsable des entreprises et construire des chaînes d’approvisionnement résilientes ;
  • Transition verte, pour renforcer la protection de la biodiversité et les énergies propres ;
  • Gouvernance des océans, pour gérer durablement les ressources halieutiques des océans Indien et Pacifique ;
  • Gouvernance numérique, pour continuer à développement le commerce électronique entre l’Europe et ses partenaires régionaux, et développer ensemble de nouvelles technologies ;
  • Connectivité, pour promouvoir le dialogue sur les transports et la connectivité numérique sur la base d’une approche « durable, globale et fondée sur des règles » ;
  • Sécurité et défense, pour développer la coopération sur le renseignement, protéger les routes maritimes et lutter contre le terrorisme et la cybercriminalité ;
  • Sécurité humaine, pour faciliter la coopération dans le secteur de la santé et coordonner les réponses aux catastrophes.

Les partenaires de l’UE dans la région Indo-Pacifique

L’UE est prête à travailler avec toutes les parties dans la région Indo-Pacifique. Le Japon est un partenaire-clef de l’UE depuis septembre 2019 et est signataire du Partenariat pour une connectivité durable et une infrastructure de qualité. Cependant, le Japon n’est pas le seul pays sur lequel l’UE s’appuie pour développer sa stratégie Indo-Pacifique. L’Inde est un autre partenaire important de la stratégie européenne et une forte coopération existe entre les deux parties dans de nombreux secteurs comme l’énergie, le traitement des data, la défense et l’environnement.

Borrell souligne également la centralité des pays de l’ANSEA dans cette stratégie. Comme l’UE, l’ANSEA est prête à trouver un équilibre entre les États-Unis et la Chine. Bien qu’ils voient que la puissance de la Chine augmente, ils comprennent qu’ils peuvent utiliser le marché et les investissements chinois pour atteindre leurs propres objectifs.

L’UE partage également de nombreux intérêts communs en Australie et en Nouvelle-Zélande en matière de sécurité et de commerce.

L’UE continue de considérer la Chine comme un partenaire majeur pour la coopération, bien que les 27 États membres restent préoccupés par les problèmes de gouvernance en Chine. Il est important que la stratégie Indo-Pacifique de l’UE ne soit pas considérée comme une menace par la Chine. L’UE doit encourager le dialogue et la coopération avec toutes les parties.

Quelques obstacles

Bien qu’elle soit la deuxième économie mondiale, l’UE est toujours considérée comme une puissance extérieure dans la région indo-pacifique. Ce n’est pas un hasard si l’annonce de Borrell a été éclipsée par la nouvelle alliance Australie, Royaume-Uni et États-Unis (AUKUS) dévoilée le 15 septembre 2021 sans aucune consultation préalable avec Bruxelles. Les pays de l’Indo-Pacifique ont une confiance limitée dans l’UE pour tout ce qui n’est pas commercial.

Face à l’accroissement des tensions dans la zone Indo-Pacifique, l’UE ne semble pas présenter ni le pouvoir ni la volonté de s’impliquer dans les différends locaux, car l’UE souffre d’un manque de  consensus parmi ses membres concernant le niveau d’engagement européen dans l’Indo-Pacifique. Seule la France a une présence territoriale dans la région, avec les territoires (d’ouest en est) de Mayotte, La Réunion, la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, et la Polynésie française, qui abritent près de 1,7 million d’habitants. D’autres pays européens dotés de capacités navales de taille moyenne, comme l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Italie, effectuent régulièrement ou occasionnellement des patrouilles dans les océans Indien et Pacifique. Cependant, pour la majorité des membres de l’UE, l’Indo-Pacifique n’est pas une région d’intérêt principal et, par conséquent, délèguent la protection de leurs intérêts dans la région à Washington. Il convient également de mentionner que la nouvelle alliance AUKUS n’inclut aucune puissance de l’UE. Cela montre que les États-Unis ne considèrent pas l’UE comme un partenaire naturel dans la région Indo-Pacifique.

Certains aspects de la stratégie de l’UE pour l’Indo-Pacifique peuvent être mis en œuvre parallèlement au nouveau programme Global Gateway. Cependant, il n’est pas encore décidé comment seront financées les actions menées dans le cadre de la stratégie Indo-Pacifique, bien que des ressources puissent provenir de l’Instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale et du Fonds Européen pour le Développement Durable (FEDD).

La Stratégie de l’UE dans l’Indo-Pacifique
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