par Dr. Sébastien Goulard

Victoria Belt Road

Depuis octobre 2018, l’état australien de Victoria s’est engagé dans l’initiative chinoise des nouvelles routes de la Soie. Une feuille de route pour la réalisation de cet accord aurait dû être dévoilée au mois de mai 2020, mais la crise du Covid-19 et certaines tensions entre la Chine et l’Australie ont retardé cette étape.  Daniel Andrews, le premier ministre de l’état de Victoria, a cependant annoncé qu’il poursuivrait cette coopération avec la Chine.

L’état de Victoria et l’initiative « Belt and Road »

Comme nous l’avions déjà précisé dans un ancien article, l’état de Victoria avait déjà signé un mémorandum d’entente avec la Chine pour participer à la BRI en octobre 2018. Cet accord non contraignant était relativement vague, et avait été approuvé par le département des affaires étrangères et du commerce australien. Il avait été complété en 2019 par un autre accord en octobre 2019, qui avait été remis en question par le gouvernement fédéral. En mars 2020, une nouvelle version de cet accord aurait dû être signée, mais a été retardée en raison du Covid-19.

En intégrant la BRI, l’état de Victoria poursuit un double objectif. Tout d’abord, il s’agit de devenir la principale destination des investissements chinois en Australie. Selon un rapport de 2019 publié conjointement par l’Université de Sydney et KPMG, en 2018, l’état de Nouvelle Galles du Sud recevait 52% des investissements chinois en Australie, contre 27% pour Victoria (ce qui représente 1,3 milliards d’euros). Ces investissements étaient principalement réalisés dans les secteurs de l’immobilier commercial  et de la santé. Pour le gouvernement de l’état de Victoria, une participation à la BRI enverrait un signal fort aux entreprises chinoises désireuses de s’implanter en Australie. La participation à la BRI devrait aussi permettre à l’état de Victoria de mieux supporter les conséquences économiques de la crise du Covid-19 en permettant l’intensification des échanges avec la Chine.

Un autre aspect important de l’adhésion de l’état de Victoria à la BRI est celui de la participation des entreprises australiennes dans des pays-tiers. Le premier ministre de Victoria, Daniel Andrews a bien compris le principe de la BRI, qui permet non seulement d’ouvrir son état aux investissements chinois, mais aussi de faciliter le développement des activités des entreprises de Victoria dans les autres régions traversées par les nouvelles routes de la Soie telles que le Pakistan ou l’Asie centrale.  

La polémique

La décision prise par le premier ministre de l’état de Victoria ne satisfait pas tout le monde. En premier lieu, le gouvernement fédéral est réservé sur cette question, et avance que ce genre de décision ne peut être prise qu’au niveau fédéral, et l’Australie a déjà fait part de son refus de rejoindre l’initiative chinoise. Selon le gouvernement fédéral, Daniel Andrews n’aurait pas demandé l’autorisation de signer un nouvel accord avec la Chine auprès du Département des Affaires Etrangères et du Commerce. D’autre part, les Etats-Unis qui voient dans l’Australie un possible partenaire pour leur propre projet de connectivité en Asie voient d’un mauvais œil une éventuelle participation d’un état australien dans la BRI.  

Un contexte de tension

Cet épisode intervient dans un contexte de tension entre Canberra et Beijing. Suite à la crise du Covid-19, l’Australie a demandé l’ouverture d’une enquête indépendante sur la gestion de la pandémie en Chine. D’autre part, la Chine suspendait ses importations de bœufs australiens, et augmentait les droits de douane de près de 80% sur l’orge australien. Aujourd’hui la Chine est le premier partenaire économique de l’Australie. L’économie australienne, dont l’agriculture, le secteur minier, ou encore le secteur de l’éducation, est devenue très dépendante de la Chine, et certains dirigeants australiens ont peur qu’une participation à la BRI renforce cette dépendance.   

L’inquiétude des Etats-Unis

En réponse à la possible participation de l’état de Victoria à la BRI, les Etats-Unis, par la voix du Secrétaire d’Etat Mike Pompeo, ont menacé de déconnecter l’Australie du programme de surveillance « 5 eyes ». Si l’Ambassadeur américain en Australie a signalé que cette décision n’est qu’hypothétique, elle montre l’inquiétude des Etats-Unis sur ce sujet.

Tout d’abord, les Etats-Unis essaient de développer une initiative concurrente à la BRI, le réseau « Blue Dot » avec le Japon, l’Inde et l’Australie. Mais, l’éventuelle participation de l’état de Victoria à la BRI pointe les limites du projet « Blue Dot », il n’est tout simplement pas encore assez ambitieux, ni assez avancé.

Deuxièmement, les Etats-Unis s’inquiètent de possibles investissements des géants des télécom chinois comme Huawei dans des investissements en Australie et notamment dans l’état de Victoria. Depuis août 2018, l’entreprise chinoise n’est pas autorisée à développer la 5G en Australie, mais cela pourrait changer si Canberra rejoignait la BRI.

Les limites de la participation de l’état de Victoria à la BRI

La volonté de participer à l’initiative chinoise, affichée par le premier ministre de l’état de Victoria prouve l’attractivité de la BRI et montre qu’il y a encore un besoin de connectivité entre la Chine et le reste du monde. Cependant, la décision prise par l’état de Victoria met en exergue les divisions au sein de la société australienne sur l’attitude à adopter envers la Chine.  

Il est regrettable qu’il n’y ait pas de consensus sur la question de la BRI en Australie. Cette initiative a besoin de stabilité, et ne doit donc pas être politisée. Pour que l’ensemble des projets aboutissent, un engagement durable de l’ensemble des parties est nécessaire.

Si pour la Chine, il peut être intéressant de profiter des divisions internes à un pays, ou à un ensemble de pays (comme l’Union Européenne pour avancer ses objectifs), sur le long terme, cette approche peut créer de la défiance envers la Chine.

D’autre part, il est dommage que la question de la BRI soit instrumentalisée. Faute d’une réelle compréhension de cette initiative, certains y voient un projet de sécurité dominé par la Chine, alors qu’il s’agit essentiellement d’un programme visant à faciliter les échanges.

Cet épisode montre enfin que le développement de la BRI demande une forte coordination entre gouvernements central et locaux.

L’état de Victoria et la BRI : quelle perspective ?
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