par Natasha Fernando et Vijay Prasad Jayshwal
L’aide au développement est un élément déterminant des relations extérieures et du développement économique du Népal et du Sri Lanka. Les politiques d’aide au développement étrangères sont conditionnées par des contraintes géopolitiques que ce soit au Sri Lanka ou Népal. Les parlements de ces deux pays débattent actuellement d’un possible accord pour bénéficier du programme américain « Millennium Challenge Corporation Compact (MCC) » sans détériorer leurs relations avec la Chine. Le Népal et le Sri Lanka sont tous deux bénéficiaires de l’aide et de prêts chinois et participent à l’initiative « Belt and Road ». Les principaux investissements de la BRI au Sri Lanka comprennent le port de Hambantota et le centre financier international de Colombo (CIFC). Au Népal, les investissements chinois se concentrent dans les transports : voies de chemins de fer et routes ainsi que dans les secteurs de l’énergie, du tourisme, de nouvelles zones franches et de l’irrigation. L’intérêt de la Chine pour le Sri Lanka est davantage axé sur la connectivité maritime, tandis qu’au Népal, la Chine privilégie le ferroviaire et le routier. Par conséquent, le Népal et le Sri Lanka font face à un dilemme concernant une possible participation à la MCC.
Qu’est-ce que la « Millenium Challenge Corporation » ?
La Millennium Challenge Corporation (MCC) américaine est présentée comme une agence américaine indépendante d’aide au développement. La MCC se distingue des autres agences en raison de son processus de sélection, de la durée de cinq ans des projets, et de l’implication de la population locale. Bien que la MCC se veut une organisation indépendante, sa structure suggère qu’elle participe au « soft power » américain. Ainsi, le conseil d’administration de la MCC est composé du secrétaire d’État américain, du secrétaire au Trésor et du représentant américain au commerce. La MCC a investi plus de 13 milliards de dollars pour ses programmes d’aide ; certains projets peuvent être considérés comme des succès comme au Salvador, mais dans d’autres états au Sénégal et en Mongolie, les résultats sont plus nuancés. Ces différences s’expliquent en partie par le fait que les critères de sélection comme « l’engagement en faveur d’une bonne gouvernance » sont susceptibles d’évoluer. Les changements de régime, les élections et la politique intérieure peuvent avoir un impact sur la réalisation des projets de la MCC. Les cas du Népal et du Sri Lanka attestent que les projets de développement envisagés par des programmes d’aide au développement sont fortement tributaire de la politique intérieure et des défis géopolitiques.
Le projet « MCC Compact » au Népal représente près de 630 millions de dollars ; les États-Unis ont contribué à hauteur de 500 millions dollars sous forme de subventions, et 130 millions de dollars seront investis par le gouvernement népalais. Il s’agit d’une opération majeure pour Népal, où plus d’un quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, avec moins d’1,90 dollars par jour. Ce projet devrait bénéficier à 23 millions d’habitants (soit près de 80% de la population). Au Sri Lanka, la MCC a approuvé, en avril 2019, une subvention de 480 millions de dollars sur cinq ans, pour développer les transports et la gestion des zones commerciales. A travers ce programme, 350 millions de dollars seront investis dans les transports publics afin de limiter les embouteillages. Des études montrent que les besoins actuels dans les projets d’infrastructures au Sri Lanka s’élèvent à près de 23,9 milliards de dollars, et les investissements menés par la Chine ne suffissent pas à atteindre ce montant. Le projet MCC peut alors faire la différence. Les allégations de piège de la dette et l’accord concernant le port d’Hambantota ont renforcé le scepticisme envers l’aide étrangère. Cependant, la différence entre le projet de la MCC et les investissements chinois est que la proposition américaine consiste en une subvention directe, qui n’a pas besoin d’être remboursée.
Enjeux géopolitiques et équilibre des puissances
La Chine fait face à plusieurs enjeux stratégiques comme le développement de ses provinces enclavées de l’Ouest, ou la question de l’accès à l’océan indien par le détroit de Malacca où transitent 80% des importations chinoises de pétrole. La BRI est considérée comme un projet stratégique pour renforcer la présence chinoise dans l’océan indien et développer des liens transnationaux par la terre et par la mer. Comme la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement l’a mentionné, la connectivité continentale de la Chine s’étend vers l’Asie du Sud-Est, l’Asie Méridionale, l’Asie centrale, la Russie et l’Europe. Sa connectivité maritime s’étend à l’Asie du Sud, l’Asie du Sud-Est, au Pacifique Sud, au Moyen-Orient, à l’Afrique de l’Est et à l’Europe. Le champ d’action et la nature de la BRI sont considérés à une échelle inédite notamment car les accords la concernant ne sont pas toujours rendus publics, ce qui a conduit à certaines critiques sur le manque de transparence de la BRI. L’application des programmes de subventions de la MCC qui se veulent transparents, pourrait pousser la Chine à adopter des pratiques similaires. D’autre part, l’adoption de la MCC au Népal et au Sri Lanka pourrait être interprétée comme une stratégie américaine pour empêcher les états de la région Indo-Pacifique de renforcer leurs liens avec la Chine.
Entre 2011 et 2014, la Chine a investi près de 828 millions de dollars au Sri Lanka, devenant ainsi le premier investisseur dans le pays ; durant la même période, les Etats-Unis n’ont investi que 190 millions. D’autre part, de 2010 à 2014, le Sri Lanka a emprunté pour 3,2572 milliards de dollars auprès de la Chine. Ces emprunts devront être remboursés, et le Sri Lanka doit transformer ces sommes en projets d’infrastructures capables de générer des revenus. L’aide étrangère n’est plus une question apolitique comme l’a montré l’élection récente des frères Rajapaksa (Mahinda et Gotabhaya Rajapaksa). Entre 2010 et 2020, il y a eu deux changements majeurs à la tête du Sri Lanka (dont celui de 2015 pourrait avoir été influencé par l’Inde). L’implication de puissances étrangères dans la politique intérieure en Asie méridionale n’est pas un phénomène nouveau, et cela a des conséquences sur l’aide au développement. Au Népal, la signature du projet MCC est suspendue jusqu’à ce que le comité central nommé par le parti communiste népalais propose de nouveaux amendements, afin que ‘accord soit approuvé par le parlement.
Le Népal et le Sri Lanka font face à un défi similaire qui est de trouver un point d’équilibre dans leurs relations avec la Chine, l’Inde et les Etats-Unis. Il s’agit d’un défi majeur qui demande des décisions avisées en matière de politique étrangère.
Les opinions exprimées sont celles des auteurs; elles ne reflètent pas nécessairement les opinions d’OBOReurope.
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