La BRI chinoise dans les états de l’ANSEA (2/4): le GMF indonésien

par Dr. Sébastien Goulard

Après sa visite au Myanmar en janvier 2021, le ministre des Affaires étrangères et conseiller d’État Wang Yi s’est rendu en Indonésie pour renforcer les relations entre Beijing et Jakarta. En Indonésie, Wang Yi a rencontré le président Joko Widodo, le ministre des Affaires étrangères Retno Marsudi et le coordonnateur de la coopération avec la Chine et ministre de la coordination Luhut Binsar Pandjaitan.

Le concept de route maritime de la soie du 21e siècle a été présenté pour la première fois par le président Xi Jinping lors d’une visite d’État en Indonésie en 2013. Depuis, plusieurs grands projets de la BRI ont été mis en place en Indonésie, mais certains ont été retardés.

Sous la présidence de Widodo, l’Indonésie, composée de plus de 16 000 îles, a mis en œuvre une stratégie nationale de développement axée sur les affaires maritimes, le « Global Maritime Fulcrum » (GMF).

Comme l’a souligné Wang YI lors de sa visite, les deux stratégies pourraient être davantage coordonnées afin d’accroître l’intégration et de développer le commerce entre la Chine et l’Indonésie.

Jalesveva Jayamahe (sur la mer nous triomphons)

Au début de sa présidence en 2014, Joko Widodo a centré la politique de développement de l’Indonésie sur sa dimension maritime. Dans plusieurs discours, le Président a souligné l’importance des questions maritimes dans l’histoire de l’Indonésie. En prêtant serment pour devenir président en Octobre 2014, Joko Wikodo a annoncé son projet de faire de l’Indonésie une puissance maritime, un « pivot maritime mondial ».

Ce programme est basé sur les cinq piliers suivants:

• promouvoir la culture maritime indonésienne ;
• mieux gérer les ressources maritimes ;
• développer des infrastructures maritimes ;
• améliorer la diplomatie maritime ;
• renforcer la défense maritime.

Nouveaux ports et routes maritimes

La dimension économique et territoriale du GMF consiste à développer les infrastructures maritimes: 24 nouveaux ports sont prévus dans le cadre de cette stratégie.

Le développement et la modernisation des ports indonésiens doivent réduire les coûts logistiques et également les rendre plus attractifs dans la région pour capter une part du commerce régional actuellement dominée par Singapour. Parallèlement à ces projets, une nouvelle initiative « Java Integrated Industrial and Port Estate » (JIIPE) a été inaugurée près de Surabaya. Ce nouveau site offre à la fois des installations portuaires, des parcs industriels et des zones résidentielles.

Pour renforcer la connectivité, les ports modernisés et nouvellement construits sont interconnectés par 11 routes à péage maritime. La création de ces routes (en 2015) devrait progressivement réduire les coûts logistiques dans l’archipel, mais aussi réduire le coût de distribution de la plupart des biens produits en Indonésie occidentale vers les régions orientales.

Cependant, les ports seuls ne sont pas suffisants pour augmenter de manière significative la connectivité inter-îles. Ces ports doivent être bien connectés à leur arrière-pays. Cela signifie que de nouvelles infrastructures intérieures doivent être construites.

Le déclin du GMF?

Cependant, lors de la campagne de réélection du président Widodo en 2019, le GMF n’a plus été mentionné; et la dimension maritime de sa politique semble s’estomper. L’Indonésie souffre toujours d’importantes inégalités régionales. Par conséquent, pour rendre les routes maritimes efficaces entre les îles indonésiennes, des efforts doivent être poursuivis pour développer les capacités industrielles en dehors de Java (l’île indonésienne la plus avancée économiquement). Cela signifie que, bien que les ports soient importants pour le développement de l’Indonésie, d’autres projets d’infrastructure doivent être menés, en particulier dans le secteur industriel et énergétique.

C’est pourquoi l’Indonésie a identifié d’autres projets sur la plupart des îles à développer en priorité. Ces projets sont ouverts aux investisseurs étrangers.

Pour accroître la connectivité, l’Indonésie doit également améliorer la gouvernance. Dans le passé, certains projets ont été retardés en raison du manque de cohésion entre les agences nationales et régionales dont les compétences se chevauchent.

La BRI en Indonésie

L’Indonésie a accueilli avec enthousiasme la « Belt and Road Initiative »  et a proposé plusieurs projets à financer et à construire dans le cadre de l’initiative chinoise. Parmi ces projets, le plus important était la construction du train à grande vitesse Jakarta-Bandung (JBHSR) sur l’île de Java, qui devrait être achevée en 2023.

Cependant, en Indonésie, certains projets de la BRI ont connu des retards importants. La lenteur de la mise en œuvre des projets BRI s’explique en partie par l’approche prudente adoptée par le gouvernement indonésien concernant le financement de ces projets. Contrairement à certains autres pays asiatiques, l’Indonésie a préféré ne pas contracter de prêts directs de la Chine, mais a privilégié une approche interentreprise. En 2019, le président Widodo a proposé à la Chine de créer un fonds spécial BRI pour l’Indonésie. En 2012, l’Indonésie et la Chine ont déjà créé un fonds de coopération maritime pour financer des projets conjoints. En juin 2017, la Chine a accepté d’augmenter ce fonds en plus du Fonds maritime Chine-ANSEA. À la suite de la visite de Wang Yi en Indonésie, ce fonds maritime pourrait être élargi.

Une autre cause de retard concerne les compensations foncières. Cela est particulièrement vrai pour les grands projets comme le JBHSR. Plusieurs entreprises et communautés ont intenté des poursuites pour demander des compensations importantes concernant l’expropriation de leur terrain. Bien que ce processus prenne un certain temps, cela crée de bonnes conditions pour obtenir un soutien du public concernant le développement de ces projets.

Enfin la Chine n’est pas le seul pays intéressé par le développement de projets d’infrastructure en Indonésie. Les entreprises japonaises sont également impliquées dans certains projets de construction. La ligne ferroviaire qui reliera Jakarta à Surabaya en 2025 est construite en partenariat avec l’Agence japonaise de coopération internationale. D’autres puissances dont l’Inde, les USA étudient de près le développement de projets d’infrastructure en Indonésie.

Coopération future entre la BRI et le GMF

La visite de Wangi Yi pourrait relancer le GMF et renforcer la coopération entre le programme indonésien et la BRI. Le ministre indonésien des Affaires étrangères Retno Marsudi a déjà annoncé l’alignement du GMF sur la BRI. La crise Covid est susceptible de renforcer les liens entre la Chine et l’Indonésie. L’Indonésie a été gravement affectée par la crise du Covid ; fin janvier 2021, l’Indonésie a dépassé le million de cas confirmés, et en 2020, le pays a subi sa première récession en 22 ans. Certains secteurs et régions, par exemple l’industrie du tourisme à Bali, ont été gravement touchés par la crise du Covid. Les nouveaux projets d’infrastructure créeront non seulement des emplois dans le secteur de la construction, mais permettront également à l’Indonésie de diversifier son économie et de réduire les inégalités territoriales.

Pour la Chine, la reprise économique de l’Indonésie est également un défi majeur, car ce pays d’Asie du Sud-Est est un client important et pourrait devenir une destination pour les entreprises chinoises pour profiter des bas salaires de l’Indonésie.

Alors que les îles sont de mieux en mieux connectées grâce au GMF et à la BRI, l’Indonésie deviendra plus attractive pour les entreprises et les investisseurs étrangers. De nouvelles opportunités seront créées à Java, mais aussi à Sumatra, Kalimantan (où la nouvelle capitale de l’Indonésie doit être construite), Sulawesi, Maluku…