par Dr. Sébastien Goulard
L’ONG Human Rights Watch a récemment publié un rapport sur les violations des droits humains au Cambodge à la suite de la construction du barrage Lower Se San 2, un projet majeur de l’initiative « Belt and Road » (BRI). Malheureusement, les problèmes de gouvernance dans plusieurs pays où des projets BRI ont été mis en œuvre peuvent avoir un impact sur l’image globale et la réputation de la BRI. La Chine doit de toute urgence mieux intégrer les considérations sociales et environnementales dans les futurs projets de la BRI.
Le Cambodge et la BRI
Le Cambodge et la Chine entretiennent de solides relations historiques, et Beijing est désormais l’un des principaux partenaires commerciaux du Cambodge. Le pays est confronté à un isolement croissant depuis le coup d’État de 1997, et l’emprise continue sur le pouvoir du Premier Ministre Hun Sen. Les pays occidentaux ont dénoncé à plusieurs reprises la baisse des normes de gouvernance. En 2021, le Sénat américain a présenté un projet de loi ciblant plusieurs responsables cambodgiens, et le Parlement Européen a publié plusieurs déclarations condamnant les violations des droits humains au Cambodge.
En conséquence, Phnom Penh s’est tourné vers Beijing pour de nombreux projets, et est devenu un fervent partisan de la BRI depuis ses débuts. Plusieurs accords importants ont été signé avec la Chine.
La présence chinoise à Sihanoukville
Le Cambodge est l’un des pays de l’ANSEA les plus pauvres et a besoin d’infrastructures modernes pour accélérer son développement. Grâce aux investissements chinois, Sihanoukville, le plus grand port du pays, a connu une transformation radicale. La ville a connu un essor rapide attirant des entreprises chinoises dans sa zone économique spéciale et des touristes dans ses hôtels et casinos nouvellement construits. Cependant, la présence chinoise massive a suscité des critiques ; lorsque la Chine a interdit à ses citoyens de jouer à Sihanoukville, certains Cambodgiens se sont montrés préoccupés par la forte dépendance du pays à l’égard de la Chine.
Le transport
Un projet majeur de la BRI au Cambodge est la construction de l’autoroute Phnom Penh-Sihanoukville longue de 190 km qui sera opérationnelle d’ici 2023. La China Road and Bridge Corporation gère ce grand projet de construction. Le projet de 1,9 milliard de dollars sera financé par une concession commerciale confiée à la société chinoise qui gérera les péages routiers.
Les entreprises chinoises proposent également des services de construction ferroviaire aux pays de l’ANSEA. Après la ligne Chine-Laos qui sera achevée en 2021, des projets ferroviaires similaires sont prévus au Cambodge. Depuis 2019, le Cambodia Royal Group s’est associé à China Railway Construction Corporation pour préparer la modernisation du réseau ferroviaire.
Construction et immobilier
Des entreprises chinoises ont également été engagées pour construire plusieurs grands projets de construction, dont le stade national Morodok Techo à Phnom Penh qui a ouvert ses portes en mai 2021.
Énergie : charbon et hydroélectricité
Comme de nombreux pays en développement, le Cambodge a besoin de plus d’électricité pour sa population et son industrie croissantes. Un projet majeur a été la construction du barrage de Lower Se San 2. Evoqué pour la première fois en 1999, un accord a été signé en 2012 entre Royal Group et le chinois Hydrolancang International Energy. Le barrage d’une capacité de 790 000 m3 a été officiellement inauguré en 2018. La construction du barrage a posé plusieurs défis, dont la réinstallation de 5 000 habitants, mais selon certains habitants les emplois promis, les hôpitaux, les écoles et les routes pour les personnes déplacées n’ont pas tous été livrés. Ils ont également remarqué un déclin des poissons dans la rivière Se San. Outre les impacts environnementaux et sociétaux du barrage, les ONG regrettent que les communautés locales n’aient été ni consultées ni impliquées dans le processus de décision. De plus, les habitants n’ont pas reçu une formation suffisante pour avoir de nouveaux emplois, et les entreprises impliquées dans le projet n’ont pas communiqué les détails de leurs programmes de relocalisation.
Après avoir priorisé les projets hydroélectriques qui pourraient avoir un impact négatif sur l’environnement du fleuve Mékong, les autorités cambodgiennes ont choisi de s’appuyer sur les énergies fossiles. Le charbon devait donc prendre une plus grande part dans le mix énergétique du Cambodge.
La construction d’une nouvelle centrale à charbon à Koh Kong a été approuvée en décembre 2020, ainsi que l’exploitation de nouvelles mines de charbon dans le pays. En raison de normes environnementales médiocres, le Cambodge importe également des centrales à charbon polluantes de Chine. Deux centrales à charbon déclassées, précédemment construites dans le Hunan, doivent être assemblées près de Sihanoukville. Ces usines ont été retirées car elles ne respectaient pas les nouvelles normes environnementales de la Chine, mais le Cambodge les a tout de même achetées. Les protestations locales ont été vaines, et ce genre de projet pourrait être reproduit à l’avenir.
Améliorer la gouvernance des projets BRI
Le Cambodge n’est pas le seul pays où des violations des droits humains résultant de projets BRI ont été identifiées. Plusieurs ONG, comme le Business and Human Rights Resource Centre, ont souligné l’impact de certains projets BRI sur les communautés locales. Ces abus pourraient saper les ambitions de la Chine pour la BRI. La communauté internationale appelle la Chine à se pencher d’urgence sur cette question et à améliorer la gouvernance des projets BRI.
Contrairement à d’autres projets soutenus par des institutions internationales comme la Banque mondiale ou la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement, le financement et la construction de grandes infrastructures par la Chine n’étaient pas assortis de conditions liées à la gouvernance, ni de normes environnementales. Les pays hôtes étaient libres de mener ces projets comme ils l’entendaient. Cette absence de conditions préalables a rendu les projets BRI beaucoup plus attrayants car ils étaient moins chers et plus rapides à mettre en œuvre par rapport à d’autres options. Cette approche suit également l’approche de non-intervention de la Chine dans les relations internationales, car Beijing a pour principe de ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures des autres pays.
Cependant, comme les projets BRI sont progressivement financés par des institutions financières internationales non chinoises, les normes de gouvernance sont examinées plus attentivement pour le développement de nouveaux projets BRI. Il est important de souligner que de nombreux projets dits BRI, tels que le barrage de Lower Se San 2, ont été planifiés avant le lancement effectif de la BRI en 2013. Alors que le secteur de l’énergie verte se développe, les institutions financières chinoises et étrangères seront réticentes à financer des projets d’énergie fossile.
Il est également important pour la Chine d’examiner attentivement la participation des habitants aux projets BRI à l’étranger. En cas de problème, la légitimité de l’initiative Belt and Road et la réputation de la Chine peuvent être affectées. Les habitants peuvent perdre confiance en la Chine ; et l’adhésion à la BRI peut devenir politisée dans les pays d’accueil.
L’année dernière, la BRI International Green Development Coalition (BRIGC) a proposé de nouvelles directives pour mieux promouvoir les solutions vertes le long de la BRI. Leurs recommandations devraient être adoptées et étendues pour couvrir des problèmes de société plus larges.
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